mardi 1 novembre 2011

La leçon de piano

S'arrêter à Bright Star pour connaitre la réalisatrice Jane Campion aurait été une vilaine erreur. Car elle a déjà commis bien meilleur oeuvre que cette tristement classique histoire d'amour. A savoir, son film succès, palme d'or 1993, La leçon de piano. A la fois poétique et engageant, rêveur et juste, le film esquisse en finesse l'étrangeté des comportements et des relations humaines.


Milieu dix-neuvième, Ada mère muette, est envoyée rejoindre son nouveau mari en colonies anglaises, accompagnée de sa petite fille Flora, de son piano et de son grand besoin d'y jouer. Les circonstances l’emmènent à échanger ses moments au piano contre les désirs d'un associé de son mari.

The piano par Jane Campion avec Holly Hunter, Harvey Keitel, Anna Paquin et Sam Neill - 1993.

On est d'emblée captivé par l'atmosphère du film, la déconcertante arrivée en Nouvelle-Zélande, cette femme au blanc visage qui ne parle pas, les vagues puissantes et le piano sur la plage. Cette impression de rêve se dissipe un peu par la suite mais revient parfois par intermittence jusqu'à la séquence finale. La trame est classique mais efficace, la réalisation et les acteurs excellents.
On suit le surprenant duo composé de la petite fille enjouée et de sa mère, digne et silencieuse évoluant au milieu de la jungle. L'actrice Holly Hunter délivre un jeu magnifique, visage fermé mais débordant de force, corps vif et expressif. Mutique, elle confère à Ada une grâce véritable, un détachement et une volonté mystérieuse. Performance nécessaire au film dont l’intérêt et l'intrigue se jouent sur ce silence.
Les trois autres acteurs principaux, bien que moins fascinants, campent néanmoins très bien leurs personnages. En particulier la petite fille, Anna Paquin (futur Malicia des X-men), esprit affuté mais capricieux, criante de gaité et de réalisme. Harvey Keitel sobre, à la tendresse de bois brut. Et Sam Neill qui promène son hésitation, sa maladresse et son inoubliable face d'Alan Grant en tant que mari absent. Dès les premières scènes, on pourrait presque lire sur son visage qu'il va sera le couillon de l'affaire. Tragique couillon du quotidien.

La dimension poétique du film est portée par Ada. C'est son étrange présence et son impénétrable caractère qui troublent, perturbent et entraînent l'histoire, un pied dans le réel, un autre dans le rêve. Son silence créé un écho dans chaque scène, tisse des correspondances entre ses ressentis intérieurs et son environnement. La nature(vagues, pluie, jungle) et la musique témoignent de ses sentiments à la place de sa voix. C'est ce monde secret qui se cache dans les non-dits, pas seulement ceux de Ada, qui intéresse Jane Campion. La réalisatrice capture subtilement la complexité de cet univers invisible que sont les émotions. C'est bien là l'essence même de la poésie, d'accéder à une beauté cachée, insaisissable dans la réalité. Ici la beauté cachée ce sont les émotions, cernées mais toujours voilées par Jane Campion. Elle parvient à transcrire l'émotion tout en conservant son intrinsèque mystère (Peut-on vraiment comprendre l'émotion d'autrui?).

La réalisatrice ne présente pas une poésie cryptée et inaccessible, au contraire, son langage est accessible et instinctif. Les correspondances et l'étrangeté tracent un sentier poétique accueillant.
La nature, la musique et l'image traduisent l'état des personnages, évidemment surtout pour Ada. Le remous intérieur lors de l'arrivée au nouveau monde (les vagues), l'abandon du piano, le désir de Baines pour Ada quand elle joue... Au surprenant récit de Flora sur la disparition de son père se greffe une animation surréaliste de se dernier 'embrasant. L’ouïe et la vue sont toujours convoquées en duo.
La singularité des personnages, du lieu et des situations confère au film une légère ambiance de rêve. les robes victoriennes en pleine jungle, la mère muette et la fille à la vive repartie, l'air de piano revenant sans cesse. Lors de sa dernière apparition, le mari Allistair déclare qu'il est entré dans un rêve. Il choisira d'y mettre fin, à la discrétion de la réalisatrice, mais on peut imaginer le pire. Le titre même est un voile poétique. Ce n'est pas la leçon de piano qui importe mais bien le rapport entre les être qu'induit cette leçon.

Poésie ne rime pas forcement avec irréalisme. C'est même l'inverse ici. C'est bien grâce à cette réalisation poétique que les comportements des personnages gagnent en profondeur. Le marché de Baines (des touches contre une touche), la colère d'une enfant, la violence de la déception d'Allistair. Mais cela vaut tout spécialement pour Ada. Ses sentiments restent teintés de mystère. Qu'a t-elle réellement pensé du marché de Baines? Accepte t-elle ce marché par besoin ou par gout? Comment est-elle soudainement tombée amoureuse de Baines? Quel est le sens des caresses pour son mari? Comment a t-elle vécu la vengeance de ce ce dernier? Quel est le sens de son geste suicidaire final? Si des pistes sont lancées par la réalisatrice, celle-ci préfère rester en retrait et laisser incertaines les émotions de Ada. Les indices tissés par les jeux de correspondance n'étant qu'approximatifs. L'intelligence de Jane Campion est de ne pas cerner les sentiments de ses personnages mais de leur laisser leur énigmatique beauté.


L'histoire est classique mais brille par une mise en scène sensible et poétique. Les émotions, thème central, sont ébauchées à la perfection et quasi-personnifiées par Ada. Celle-ci rayonne d'une insondable grâce, portée par l'excellente performance d'Holly Hunter. Jane Campion arrive sans faute à traduire les émotions sans les figer. Une vraie réussite!

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